lundi 12 février 2007

Le jugement de Dieu

En 1994, les Slovènes me lancent un défi avec leur meilleur alpiniste du moment Miroslav Sveticic dit "Slavko".

Moi je viens d'en prendre plein la tronche avec la pègre chamoniarde: 18 mois de prison dont 4 fermes. Des contrôles administratifs toujours aussi pourris depuis le retour de la chiraquie au pouvoir en 1993.

Aucune préparation donc, sauf peut être ce renforcement moral que donne toutes ces épreuves. Merci les ripoux !

Slavko est hyper affûté, il vient de se balader dans la goulotte entre la Walker et la Whymper en quelques heures. Il est allé boire un verre à Courmayeur et est remonté par le col des Jorasses pioncer à Canzio. C'est dire toute la classe du bonhomme. Une vrai force de la nature. Un grimpeur en rocher et en glace qui ressemble plus à un extraterrestre qu'à un humain tant il est phénoménal. Pourtant j'en ai vu des costauds, mais là c'est plus fort que tout ce que j'avais vu.

Et Slavko me propose de tenter la première de la goulotte entre la Marguerite et la Young. Lafaille et Twight s'y sont cassé les dents. Une horreur probable au bout de trois cent mètres avec un peu de neige et de glace sur des piles d'assiettes.

"T'es pas fou Slavko, cela fait des années que je ne fait presque plus rien. Je ne suis ni entraîné, ni acclimaté. Je passe d'un procès, une condamnation, un contrôle de police, un contrôle fiscal, un contrôle d'urssaf à l'autre. C'est mon seul entraînement. Il est juste moral. Juste le plaisir de me foutre de la gueule de ses saloperies à la solde de la pègre, ces rats de petits fonctionnaires minables. Je fais semblant de trembler, mais dans ma tête je leur dit à ces raclures que s'ils croient que je vais me suicider ou partir, il peuvent toujours se le mettre ou je pense".

Slavko ne compris rien à mon français mais juste l'essentiel:
"C'est pas grave, t'as l'expérience".

Bref, il me proposait rien moins que l'épreuve du jugement de Dieu. Une grimpe à mort. Le premier qui se dégonflerait serait le perdant.
"Après tout, pourquoi pas ? me suis je dit dans ma tête. J'ai toujours su que quelque chose me protégeait. Autant voir si cette chose est toujours là. Et puis, à mourir, autant que ce soit en montagne que dans un bûcher sous les sapins, comme avec ce monstre hydrocéphale de Ballaloud.
-Ok, on y va, mais ne sort pas le turbo dès le début, sans aucun entraînement, je vais carboniser dès la rimaye.
-Ok fit Slavko, on fera en réversible comme cela tu pourra monter à ton rythme. "

Et nous sommes partis de Chamonix pour Leschaux. Ma copine la "Titinette" avait une confiance aveugle. Au moins une en qui croyait en moi.

Le lendemain , vers une heure, juste le temps de boire un café et le turbo hyper compréssé de Slavko ronflait comme une ferrari V12. Peut-être voulait-il se boire sa bière à Courmayeur avant midi. C'est sur, j'allais exploser.
Heureusement la chance était avec moi. Dès les premières longueurs, fallait se rendre à l'évidence, les conditions étaient épouvantables. Mais bon, avec un gars comme Slavko, pas de problème, un seul piton au relais et rien sur toute la longueur! Je commençais à me marrer un peu. Le premier qui fait une connerie, il arrache tout et on va tous les deux en bas. Mais l'Hyperturbo semblait en totale confiance et ne comprenait pas pourquoi chaque fois que c'était mon tour de passer en tête, je rajoutais quelques protections dans les passages "douteux". Et puis on s'y fait. De toute façon, tous les pas étaient douteux. Si pour Terray, plus il montait dans l'Eiger, plus "la paroi déjà verticale se redressait encore" , dans notre cas, plus on montait et plus s'était craignos. C'est là que je pu admirer la classe incroyable de ce diable de Slavko. Il se décidait enfin à pitonner un peu, ce qui voulait dire qu'il n'était plus en ballade.

Et la glace vint à manquer. Plus que des cailloux instables à plus de 70 degrés, des blocs qui ne demandaient qu'à partir dans le vide. Il fallait se rendre à l'évidence. Jamais nous ne passerions le ressaut juste au dessus de nous. Deux longueurs infaisables, sauf à se rompre le cou. Et cela nous obligea à sortir de la goulotte. J'étais mort de soif et de fatigue. Slavko prépara un café. Nous le bûmes rapidement et à ma grande surprise, il me dit ciao. L'hyper Turbo avait remis la post combustion en route. Impressionnant. Il monta au sommet de l'antécime de la pointe young et redescendit dormir à Canzio.

J'étais comme un con sur l'éperon. C'est lui qui avait le réchaud, une corde, et du matos. Je lui avait fait part de mon intention de bivouaquer, de contourner les deux longueurs infaisables et de reprendre la goulotte juste au dessus. Et il m'avait planté là et j'ai dit merde. Un peu d'eau coulait sur les rochers. assez pour boire. Un bon saucisson et un peu de pain. Royal quoi! Je triais le matos et avec juste une corde de 50 m en 9mm, quelques clous, coinceurs et mousquetons, fallait pas que je tombe sur du trop dur. Et si cela ne passait pas ? Si c'est Slavko qui avait vu juste en renonçant ? Merde , Merde et merde ! J'ai allumé ma pipe et j'ai fumé paisible toute la nuit. Si j'étais légé en tout, comme le capitaine hadocq, je ne manquais pas de tabac. J'étais con, j'aurais du apporter aussi du cognac. Cela aurait été un vrai palace. Un bivouac en face nord des Jorasses, c'est toujours le top. Faut pas les gacher ces moments.
Le lendemain, les dés furent jetés d'entrée. Je me suis retrouvé dans la goulotte après un rappel un peu craignos et ce fut la merveille des merveilles. Autant la veille ce n'avait été qu'une escalade dangereuse, autant ce fut le plaisir le plus absolu. Jamais difficile. Jamais plus dur que du V, jamais trop raide. une vue fantastique sur la voie Couzy Desmaison juste à coté. Que du Bonheur. L'arrivée à la Brèche fut un enchantement. Enfin du super granite, des fissures franches. Il avait fallut faire 850m pour les trouver.
Lorsque j'arrivais à Canzio dans l'après midi, Slavko était parti depuis longtemps. Moi j'étais trop bien. Un moment de paix avant de retourner dans l'enfer des chiens de ripoux et des mafieux charognards.
"putain, ici au moins, il viennent pas m'emmerder".
Et j'ai encore fumé cet horrible tabac noir qui vous arrache la gueule en admirant les étoiles. Je me suis marré en pensant à titinette. Elle ne comprend pas que je puisse aimer des tabacs infects.
"plus c'est fort, plus j'aime".

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